Espace, forme et récit
dans la peinture d’Anna Foka
Madonna (blue) 2011
oil on canvas
150×150 cm
Peut-être la première chose que l’on remarque dans le travail d’Anna Foka, c’est son désir d’évasion. Mais l’évasion dont il s’agit n’est pas seulement celle qui nous transporte dans un «ailleurs» imaginaire, onirique, cauchemardesque ou autre, loin de la plate réalité. C’est la forme elle-même qui tente ici de s’évader, de sortir de sa carcasse pour s’aventurer aux alentours, parcourant le tableau tout entier selon un jeu de transfigurations et de métamorphoses qui rythme au passage la composition en lui donnant sa cohérence propre. Une évasion qui traverse la peinture de toile en dessin, dans un enchevêtrement d’allusions insistantes et d’affirmations silencieuses, retenues au dernier moment par on ne sait quelle force de résorption et recyclées à l’intérieur de la peinture.
Dans certains cas, la dimension monumentale est plus accentuée que dans d’autres. Mais il s’agit là d’une monumentalité «écrasée» en quelque sorte, bloquée en plein élan, suspendue dans une forme intermédiaire qui d’un côté est en train de s’arracher à son état statique, et de l’autre, se trouve figée dans un mouvement fluide.
Disneyland 2006
oil and acrylic on canvas
195×114 cm
La forme est prise dans un rapport dialectique entre les possibilités offertes à l’intérieur de l’espace pictural et les nécessités propres à la logique narrative. Le collage, la décomposition et le «floutage» des formes sont utilisés comme autant de véhicules d’une narrativité non verbale et non linéaire qui prend forme aux interstices entre la figuration et l’abstraction, entre la peinture «en elle-même» et sa tendance inhérente à devenir constamment autre chose : fable, récit, histoire.
Sans s’adonner à la volupté d’une facture luxuriante, le travail sur les transitions et les superpositions crée des effets de texture qui sont autant de microcosmes étincelants et fabuleux – au sens étymologique du terme –, d’autant plus, qu’ils sont débarrassés des contraintes strictement figuratives. Exaltation dépressive d’un œil hypertrophique qui pénètre avec tact le monde d’un conte qui a du mal à tenir sur ses propres jambes. Substances viscérales d’images dérangées, comme leur propre sens, impossibilité de comparaison avec la version originale d’un scénario qui n’a pas encore été écrit.
Francis Bacon disait qu’on ne peut vraiment parler de la peinture, seulement autour d’elle. Celle de Foka ne saurait échapper à cette règle, d’autant plus qu’on a l’impression qu’elle procède par métaphores cryptées, mettant en scène un jeu d’apparences qui vacille entre ce qui est dit et ce qui est chuchoté, entre ce qui est montré et ce qui est gardé sous silence.
Vangelis Athanassopoulos